Six heures trente du matin… J’ouvre les yeux et réalise que je me sens parfaitement réveillée, à la limite même de l’excitation. Un instant plus tard pourtant, je me souviens consternée que nous sommes samedi. Quelle poisse alors, péter le feu pile le jour où je n’ai pas besoin de me lever !
Qu’à cela ne tienne, au moins je pourrai profiter de ma journée. Je songe donc à me mettre debout, mon esprit effleure avec un plaisir anticipé le muesli dans ma cuisine, et puis tout à coup, tout bascule…
Elle est là, devant moi, l’héroïne de cette ébauche de roman sur lequel je travaille par intermittence depuis des mois. Je la connais par cœur, la couleur magnifique de ses yeux, la forme de sa bouche, le son de sa voix, le toucher de sa peau, le mouvement de ses cheveux quand elle bouge… Mais j’ai toujours le même plaisir un peu étonné à la retrouver. Pourtant, ce matin, je ne lui avais pas donné rendez-vous. Ce matin, je devais faire la grasse mat puis aller manger du muesli en discutant de l’aménagement de notre nouvelle maison avec mon mari, grognon comme il l’est toujours avant son deuxième café.
Mais voilà, quand l’un de mes personnages débarque comme ça dans ma tête, sans crier gare, je suis juste incapable de lui dire de rentrer chez lui.
Alors je la suis, et je vous jure que dans ces moments-là, je me contente de suivre. Alors que ça fait des semaines que je suis complètement bloquée dans l’écriture, là, dans la chaleur de ma couette et le moelleux de mes oreillers, tout s’enchaîne à une vitesse folle. C’est comme si je regardais un film sans pouvoir l’arrêter, sans plus avoir la moindre notion du temps, de toute façon le temps réel et celui de l’histoire qui se déroule dans ma tête n’ont aucun synchronisme.
Je rencontre les gens qu’elle côtoie et je peux plier le temps et l’espace selon mon bon plaisir. Je peux m’arrêter sur un personnage secondaire, l’observer dans le moindre détail, m’engouffrer même dans ses souvenirs et vivre une scène de son passé.
C’est assez vertigineux et parfois frustrant de me dire que je sais tout ça sur mes personnages et que le lecteur, lui, ne fera qu’en deviner une partie.
C’est assez fascinant aussi d’évoluer dans cet univers parallèle que je connais par cœur et que je découvre pourtant chaque fois différent. Au fur et à mesure de mes visites, il évolue, il s’enrichit, et cependant ces nouveautés, qui je le sais bien viennent de moi, me paraissent évidentes et familières comme si elles avaient toujours été là.
Je me laisse donc guider par mon héroïne et par son histoire, sautant sans effort d’un lieu à un autre, les décors apparaissant dans mon esprit tellement réels, colorés, tellement surprenants et familiers à la fois. Une scène en entraînant une autre, un dialogue pouvant parfois se rejouer plusieurs fois dans ma tête jusqu’à ce qu’il sonne parfaitement juste à mes oreilles sans pour autant que cela ne brise la frénésie de mon imagination, il arrive que je rouvre les yeux, hébétée, pour me rendre compte que plus de deux heures sont passées et que je suis toujours là, dans mon lit, sans avoir bougé d’un centimètre.
La dernière fois, je vous ai raconté à quel point été capricieuse l’inspiration, à quel point parfois il était exigeant de se mettre à écrire comme si c’était la dernière chose dont je pouvais avoir envie.
Mais aujourd’hui, je voulais que vous sachiez comment ça vit, dans ma tête, comment ça bouge et quelle félicité cela m’apporte.
Après un début de journée comme celui que je viens de vous décrire, le sentiment est partagé. Une part de moi est gonflée à bloc et prête à tout mettre par écrit. L’autre, la grognonne, est désespérée de savoir à quel point tout va si vite dans la tête et est si fastidieux et long à mettre en mots. Elle se dit que je finirai forcément par oublier des choses, que certaines scènes n’auront jamais la même saveur que lorsque je les ai vécues dans mon lit…
Avec le recul, je sais que c’est faux. J’ai écrit une nouvelle il y a peu de temps, et elle est née exactement de la façon que je viens de vous décrire. J’avais vaguement le projet dans un coin de mon esprit, mais un matin brusquement, tout s’est mis à se construire dans mon cerveau fou à une vitesse fulgurante. Je rencontrais les personnages et en un clin d’œil, ils trouvaient un visage, une voix, une histoire et une profondeur qui me les rendaient tous attachants.
Parce que oui, c’est ça l’autre problème de ma folie intérieure. J’aime mes personnages, tous ! Je les aime avec une force un peu insensée, comme s’ils étaient mes amis. Même les plus désagréables, je connais aux tréfonds de leur être quelque chose qui leur vaut mon affection…
Je les connais bien, je passe du temps avec eux. Parfois, le soir avant de m’endormir, assise dans un train, je vis des histoires que je ne raconterai jamais nulle part, où je fais partie de leur univers, où je les connais, où je leur parle, où je les aide…
Je crois intimement que chaque monde que je crée, chaque lieu, chaque personne, chaque lien que j’invente se met à exister, quelque part. Cette idée est fantastique et romanesque je le sais et n’a pas de réalité rationnelle, toutefois elle a dans mon esprit une place authentique et importante.
Lorsque je commence à écrire, j’assiste au big bang d’un nouvel univers, qui par la suite aura sa vie propre, qui continuera même quand je ne l’écrirai plus. Les lieux, les personnes, tout cela se met à exister, d’une manière à la fois intrinsèquement liée à ce que je pourrai écrire par la suite et, en même temps, totalement indépendante.
C’est une pensée folle et incroyable, mais qui me séduit prodigieusement. Ce n’est pas tellement la perspective d’être le dieu d’un monde qui me plaît, en fait je n’y ai jamais pensé en ces termes. C’est plutôt l’idée que quelque part, il existe un nouveau monde parallèle, de nouvelles vies, auxquelles je suis étroitement liée mais qui ne m’appartiennent pas, qui ont leur propre essence.
Je pense qu’une bonne partie de cette idée m’a été inspirée par la série de jeux vidéo Myst, à laquelle j’ai beaucoup joué avec ma famille durant mon adolescence. Ces jeux étaient basés sur le concept fabuleux qu’il existe une forme de livres particuliers, que l’on rédige avec un langage particulier, et qui donnent naissance à des mondes créés par l’écriture. Ces livres deviennent ensuite des passages vers ces mondes. Ainsi, tout ce qui est décrit avec des mots prend une réelle existence dans un monde parallèle.
Cette idée me fascinait et a probablement pris une part importante dans la folie qui anime mon imaginaire.
Mais la conviction que je fais exister quelque part par mes mots ces êtres et ces choses a son revers. Si je suis convaincue que ces personnages ont une volonté propre et ne dépendent pas uniquement de moi, je crois aussi que, chaque fois que je place mes personnages dans des situations délicates, j’en suis responsable et j’ai le devoir de les en sortir.
De ce fait, mes soucis de blocage et d’inspiration aléatoire génèrent, en plus de la culpabilité liée à mon propre échec, une culpabilité bien plus surréaliste et pourtant bien présente, celle d’avoir abandonné mes personnages alors qu’ils ont besoin de moi, réellement, dans un monde bien réel dont je n’ai pas le droit d’ignorer l’existence.
Voilà, je vous ai raconté le principal. Si vous m’avez lue jusqu’au bout, vous êtes maintenant intimement convaincus que je suis cinglée. Si ça peut vous rassurer, moi, je le vis très bien et ma folle imagination me procure chaque jour de grands moments de bonheur et de plaisir. Bien sûr que je sais que tout ce que je vous raconte n’est pas réel. Mais c’est tellement merveilleux de le croire !
A lire aussi :
Ma vie au fil des mots (partie 1) : les facéties de l’inspiration
Avec cet article, je participe à un challenge d’écriture de mon groupe de blogueuses, « Le Café des Blogueuses », ayant pour thème « Quelque chose qui me tient à cœur ».
Comme vous le savez si vous me lisez, ce qui me tient à cœur, c’est aussi de partager mes découvertes.
Voici donc quelques coups de cœur bloguistiques que je vous invite à visiter si le thème de l’écriture et de la lecture vous plaît autant qu’à moi :
- Dans la bulle de Pauline Perrier : elle est écrivain, lectrice, curieuse et dans sa bulle, on se sent chez soi et super bien accueilli !
- La catégorie lecture du Boudoir de Vesper : je vous ai déjà parlé de ce blog que j’aime beaucoup, mais je ne vous ai jamais dit qu’un soir où j’avais un petit moral, j’ai lu l’intégralité de ses fiches de lecture. Je les trouve bien faites, claires, précises et c’est un bel endroit pour aller glaner de nouvelles idées lecture ou au contraire, en écarter d’autres.
- Rachel is writing : elle est toute jeune, mais je trouve que c’est super sympa chez elle. Elle donne notamment des conseils d’écriture et elle est très accessible.
2 commentaires
J'espère qu'on aura l'occasion un jour de lire tes écrits ! c'est déjà bien agréable de lire tes articles, ça serait chouette de lire ton roman. Je crois que dans l'écriture il ne faut pas se casser la tête surtout si c'est une passion plus on pense à écrire moins on y arrive il faut laisser notre cerveau se vider de nos ressentiments et de tout le traqua du quotidien et c'est quand on s'y attend le moins que les mots défiles devant nos yeux….
Je te souhaite un bon challenge !
Merci beaucoup !
Si un jour je fais quelque chose de lisible par autre que mes proches, je partagerai avec plaisir.
Mais je suis d'accord avec toi. C'est totalement inutile et stérile de forcer l'écriture. Il faut juste la saisir quand elle vient !
A très bientôt !