L’attente face au silence
Dans les semaines qui ont suivi, tout s’est déroulé assez normalement : patchs, injections, échographies de contrôle…
Enfin est arrivé le jour de l’échographie qui, normalement, devait décider si l’on lançait la décongélation de l’embryon ou non. Dans mon cas, il s’agissait simplement d’un contrôle, du moins le pensais-je naïvement, puisqu’il avait été décidé que ce transfert d’embryon se ferait quoi qu’il arrive.
Le gynécologue m’a informée, sans grande surprise, que mon endomètre était toujours à deux millimètres et que le traitement n’avait eu aucun effet. Il m’a dit qu’il transmettait les résultats à Foch et que c’étaient eux qui donneraient le feu vert au laboratoire pour la décongélation de l’embryon.
A ce stade, j’étais tout à fait confiante. J’avais la parole du professeur D., que tout se passerait selon mon souhait, tout était en règle et Foch avait d’ores et déjà fixé la date du transfert.
Toutefois, je savais que le traitement devait être modifié cinq jours avant le transfert pour préparer celui-ci au mieux et j’attendais donc les instructions que l’hôpital devait, m’avait-on expliqué, me donner dans la journée par téléphone.
Ne voyant rien venir, vers 17h j’ai commencé à m’inquiéter. Le lendemain, c’était le jeudi de l’Ascension et, avec le pont que ne manquerait pas de faire une bonne partie du personnel médical, si je n’avais pas les informations tout de suite, j’avais peu de chance de les avoir avant le lundi suivant, soit la veille du jour du transfert. Si je devais modifier mon traitement durant les cinq derniers jours, cela n’allait pas être possible. J’ai donc tenté d’appeler l’hôpital, sans succès. A cette heure-là, ils étaient probablement déjà tous partis en week-end prolongé.
J’ai alors commencé à m’inquiéter sérieusement. Comment se pouvait-il que l’on m’ait tout simplement oubliée ? Je me couvrais de reproches : j’aurais dû les appeler plus tôt, insister davantage…
Ce qui m’inquiétait le plus, c’était mon départ aux USA. Les billets n’étaient pas remboursables et la perspective de partir sans avoir fait le transfert, d’avoir fait subir à mon corps un mois de traitement hormonal pour rien et de devoir recommencer me déplaisait au plus haut point.
Le vendredi, le lendemain de l’Ascension, j’ai harcelé le service de PMA de coups de fil, mais sans jamais avoir personne, comme je m’en doutais un peu. J’ai dû laisser passer le week-end, dans l’angoisse et l’ignorance totale de ce que je devais faire, me contentant de poursuivre le traitement que je prenais à présent depuis un mois.
Le lundi, le personnel médical étant vraisemblablement rentré de son week-end prolongé, j’ai repris mes appels. J’ai fini par avoir une secrétaire, totalement ignorante de mon dossier, à qui j’ai demandé de transmettre un message. Mais à la fin de la journée, je n’avais toujours aucune nouvelle.
Ce que vaut une parole donnée
Le mardi matin, de plus en plus inquiète, j’ai rappelé l’hôpital. Je suis finalement parvenue à parler à une interne, qui m’a assuré qu’elle me rappelait dans l’heure qui suivait. Il était dix heures du matin.
A quatorze heures, je n’avais toujours pas été rappelée, j’ai donc rappelé. Je suis parvenue à tomber sur la même interne, celle-là avait eu la bonne idée de se présenter en début de conversation, j’ai donc pu la retrouver.
Elle m’a dit que non, aucun transfert d’embryon n’avait été prévu pour moi, que je n’avais pas réagi favorablement au traitement et donc que cela ne servait à rien.
Je lui ai expliqué ce qui avait été décidé, puisque visiblement elle non plus ne faisait pas partie de cette équipe médicale qui avait pris la décision du transfert à l’unanimité, si tant est que cette équipe ait jamais existé.
Elle m’a dit, d’un ton qu’elle voulait gentil mais qui était profondément condescendant, qu’elle ne comprenait pas ma réaction.
« Le traitement qu’on vous donne est un traitement léger et pas contraignant. On pourrait reprendre un cycle, en vous le donnant cette fois sur un mois. »
Léger et pas contraignant ? Mais qui était-elle pour porter ce jugement ? Était-ce son corps à elle que l’on bourrait d’hormones alors qu’il était évident que ça ne servait à rien ? J’ai trouvé cette façon désinvolte d’envisager le patient tout à fait détestable.
Mais plus absurde encore était la seconde partie de sa tirade. Car cela faisait déjà un mois que je prenais le traitement en question, et si l’on décidait du transfert maintenant, cela ferait cinq semaines, au moment du transfert. Dire que l’on pourrait me redonner le même traitement, en le faisant cette fois durer un mois n’avait donc absolument aucun sens et prouvait une fois de plus que les médecins auxquels j’avais à faire n’avaient aucune connaissance de mon dossier.
Cette fois, toutes les limites de ma patience avaient été dépassées. Je ne me suis même pas mise en colère. Ce n’était pas encore le moment… Je lui ai simplement dit, clairement et fermement, que c’était très simple : soit ils programmaient ce transfert dans cinq jours, soit la prochaine fois qu’ils me voyaient dans leur service, c’était pour venir chercher mon embryon et l’emmener dans un autre service.
A vrai dire, je ne croyais pas moi-même que cela fonctionnerait. Pourtant, à peine trente secondes plus tard, j’étais rappelée par… Je ne saurais pas vraiment dire par qui, il ne s’est pas présenté et je ne le lui ai pas demandé, parce qu’au début, je l’ai pris pour le professeur D. J’étais dans un endroit plutôt bruyant et il avait un léger accent très similaire à celui de D., ce qui m’a induite en erreur. Je vous assure pourtant que si je connaissais son nom, contrairement à tous les autres, je n’aurais pas hésité à l’afficher publiquement, tant cet homme a été odieux. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il devait s’agir au vu de sa réaction de l’un des personnages les plus hauts placés du service. Ma menace me faisait enfin prendre au sérieux…
Il a commencé par me dire que son éthique professionnelle l’obligeait à tout faire pour assurer à cette grossesse les meilleures chances de réussite.
« Vous ne voulez pas donner les meilleures chances possibles à votre embryon ? »
Et allez, un coup de culpabilité dans la tronche. C’était moi la coupable, moi qui ne voulais pas vraiment que cela réussisse, moi qui ne donnais pas toutes les chances à mon enfant. Quand on attend depuis si longtemps, que cela fait des années que l’on fait le yoyo entre espoir et désillusion, il faut une force énorme pour résister à cet argument, pour ne pas s’écrouler, se dire qu’on est décidément une très mauvaise mère, que c’est de notre faute si on ne parvient pas à tomber enceinte. Il faut, en définitive, une volonté surhumaine pour ne pas céder et dire que oui, bien sûr qu’on veut le meilleur et qu’on va faire tout ce qu’ils nous disent pour ça.
Je crois que sans Dieu, sans mon mari près de moi et sans la colère que m’inspirait cet homme, je n’aurais pas pu faire face.
Parce que oui, la colère est enfin venue. Jusqu’à présent, j’avais dû être ferme parfois, insistante, je m’étais sentie contrariée, angoissée, perdue, triste, dépitée, mais jamais encore vraiment en colère.
Mais ce médecin, qui m’assénait toutes les deux phrases son éthique ou sa conscience professionnelle dont il était visiblement profondément dépourvu, qui venait de tenter de faire de moi la coupable et surtout, qui s’est mis à me couper la parole dès que je commençais une phrase, même lorsqu’il s’agissait d’une réponse à l’une de ses questions, s’est peu à peu mis à m’inspirer une fureur puissante que j’avais rarement connue.
Il avait visiblement décidé que m’écouter n’avait aucun intérêt. Il m’a demandé, d’un ton qui disait clairement qu’il pensait que c’était une idée absurde qui ne sortait que de mon imagination, qui m’avait dit que le transfert serait fait à la date dont je lui parlais. J’ai essayé de lui répondre, de lui résumer les échanges que j’avais eus avec les différents médecins du service, mais dès que je commençais une phrase, il me coupait la parole pour me dire que ce que je disais n’avait pas de sens et que sa conscience professionnelle, blablabla.
Le ton a commencé à monter. J’ai dû me mettre à parler plus fort pour parvenir à terminer mes phrases avant qu’il ne les interrompe.
Pensant encore que je parlais au professeur D., je lui ai rappelé qu’il m’avait donné sa parole que…
« Moi ? Certainement pas, je ne vous ai jamais parlé, madame, » m’a-t-il asséné d’un ton dépourvu de toute politesse.
J’ai alors compris qu’il n’était pas D., mais je ne me suis pas laissée démonter et, avant qu’il reprenne sa litanie sur l’éthique professionnelle, je lui ai expliqué que le professeur D. m’avait donné sa parole que le transfert serait fait quels que soient les résultats de mes examens.
Il m’a alors fait cette réponse extraordinaire :
« Donné sa parole ? Ça n’existe pas, ça, madame. »
Mon mari qui était à côté et qui commençait à perdre patience s’est énervé lui aussi, sans grand succès puisque de toute façon, notre interlocuteur n’écoutait rien et continuait à nous interrompre sans cesse. Je ne suis jamais parvenue, durant toute cette conversation, à lui raconter en intégralité ni ce qui avait été décidé au téléphone avec la médecin qui avait réouvert mon dossier, ni ce qu’avait décidé le professeur D. Même s’il continuait à me poser la question, qu’est-ce qui avait bien pu me mettre dans la tête que nous ferions ce transfert d’embryon, il n’a jamais semblé trouvé intéressant d’en apprendre la réponse.
Il s’est mis à se plaindre qu’il avait toujours été correct et poli et qu’il se faisait insulter, ce qui était faux.
Et puis tout d’un coup, sans que je comprenne ce qui avait provoqué ce revirement, il m’a dit :
« Je ne comprends pas pourquoi vous vous énervez, on va le faire ce transfert, je n’ai jamais dit qu’on ne le ferait pas. Calmez-vous, madame. »
Je suis passée sur sa mauvaise foi manifeste et ce ton apaisant insupportable de celui qui calme la crise de nerfs irrationnelle d’un enfant.
Il m’a demandé quel jour je souhaitais programmer le transfert et j’ai imposé la veille de mon départ aux Etats-Unis, pour ne pas avoir à faire plusieurs allers-retours à Paris, puisque notre avion partait de Roissy. De toute façon, il n’y avait plus beaucoup le choix, puisque je devais modifier mon traitement cinq jours avant le transfert et que la date de notre départ approchait sérieusement.
Je lui ai alors demandé s’il allait falloir m’envoyer une nouvelle ordonnance pour la suite du traitement, ou si celle-ci était déjà prévue sur mon ordonnance actuelle. La question me semblait relativement simple et plutôt logique.
« Je ne sais pas moi, ce qu’il y a sur votre ordonnance.
– Mais elle n’est pas dans mon dossier ?
– Ah non, ça n’existe pas ça. Il n’y a pas d’ordonnances dans les dossiers. »
Si c’est vrai, ce n’est guère rassurant quant au suivi médical que l’on peut espérer avoir. Cependant je soupçonne surtout cet homme d’avoir répondu n’importe quoi parce que ma question ne l’intéressait pas et qu’il avait la flemme de s’occuper d’une besogne aussi basse que de vérifier une ordonnance. Il laisserait ça à ses internes.
Je lui ai rappelé malgré tout à toutes fins utiles que j’étais non-voyante et donc que j’aurai besoin que l’on me précise ce qui était écrit sur l’ordonnance, car je ne pouvais pas la lire, pour que je sois certaine de la posologie. Il m’a assurée qu’il me rappellerait le lendemain pour voir ça avec moi.
Le lendemain, évidemment, il ne m’a pas appelée. Vers 16h, j’ai donc téléphoné et je suis tombée sur une interne qui semblait vraiment se demander de quoi je pouvais bien parler. On ne prend jamais l’habitude d’un tel manque de communication.
Finalement, le médecin m’a rappelé. Il était glacial et s’est contenté de m’énoncer très laconiquement le traitement à prendre.
Je lui ai demandé s’ils avaient bien reçu nos consentements et nos sérologies, deux documents indispensables pour un transfert d’embryon que j’avais envoyé quelques semaines auparavant par mail et pour lesquels je n’avais eu aucune confirmation de réception.
« Ah, j’en sais rien, je peux pas vous dire, m’a-t-il répondu avec une désinvolture qui frisait l’impolitesse, si on les cherche, on vous appellera ! »
Une histoire de fric, comme toujours
Avant de terminer ce récit, je voudrais attirer votre attention sur le fait que cela faisait une semaine que je tentais de joindre ce service, que même quand on me disait qu’on me rappelait, on ne le faisait jamais et que c’est la menace de retirer mon embryon qui m’a enfin valu qu’on m’accorde un intérêt immédiat.
Jusqu’à cet instant, je voulais croire qu’il ne s’agissait que de maladresses, d’inattention. Mais cette réaction, associée à tout le reste de ce qui s’est passé, m’a permis de confirmer ce que je vous disais déjà plus tôt : la seule chose qui intéresse ce service, c’est de faire du chiffre, d’obtenir des résultats quantifiables.
Tant que vous gardez un embryon chez eux, même s’ils savent parfaitement qu’ils ne pourront jamais vous le transférer, même s’ils savent qu’ils ne pourront jamais vous faire tomber enceinte, vous restez une donnée quantifiable dans leurs statistiques et susceptible de générer du revenu à l’infini. En effet, en laissant survivre l’espoir en vous, et Dieu sait comme cet espoir est terrible et cruel quand on essaie d’avoir un enfant, ils s’assurent que vous reviendrez tous les mois, que vous retenterez un cycle, que vous viendrez aux rendez-vous, aux consultations, et tout cela est payant, bien sûr, même quand c’est la sécurité sociale qui s’en charge. Il est bien plus juteux pour eux de vous garder sous le coude, en jouant avec l’espoir et la culpabilité pour vous convaincre que recommencer encore et toujours est la seule chose à faire, plutôt que de faire un transfert qui sera un échec, donc une statistique négative, et les privera d’une merveilleuse cliente.
Dans l’affaire, la souffrance psychologique des parents, la maltraitance physique d’imposer pendant des mois, voire des années, un traitement hormonal totalement inutile, cela n’a pour eux aucune importance. Je dirais même que ça n’existe pas, ça, madame.
Finalement, le plus honnête dans cette histoire, c’était le professeur F. Certes il l’avait annoncé de façon maladroite et sans aucune humanité, mais lui au moins avait été très clair sur ma situation et sur le fait qu’il ne servait à rien d’insister.
Des disfonctionnements jusqu’au bout
L’ambiance autour du transfert ressemblait beaucoup à celle précédant la ponction ovarienne.
Un détail m’a particulièrement marqué : je ne savais pas que monsieur Flo et moi devions attendre dans des lieux séparés, parce que je devais porter une tenue stérile. Comme d’habitude, rien ne nous était expliqué.
Juste après notre arrivée dans le service, monsieur Flo s’est absenté une minute pour aller aux toilettes. C’est juste à ce moment-là que les infirmières sont venues me chercher pour m’emmener dans la salle où je devais attendre. Elles n’ont pas voulu attendre son retour et moi, je l’imaginais revenir et ne plus me trouver, ne pas savoir ce qui allait se passer… Je ne savais même pas à quel moment on se retrouverait, même si je savais qu’il serait présent au moment du transfert, puisque c’est obligatoire. Ce n’est en soit pas gravissime, mais dans un tel moment il y a une certaine violence à nous séparer sans prévenir.
On m’a donc fait mettre la tenue de bloc opératoire au complet, ce qui m’a surprise parce que je croyais que le transfert se faisait sans anesthésie. C’était effectivement le cas, il s’agissait je suppose simplement de précautions d’hygiène, mais encore une fois, personne ne me disait rien, mis à part mettez ça, posez ça là et installez-vous ici.
Un peu comme le jour de la ponction, une infirmière m’a demandé si je savais un peu comment ça se passait. Je lui ai répondu que non, pas du tout et elle est partie sans rien m’expliquer.
Durant l’heure et demie qu’a duré mon attente, dans les mêmes conditions que la fois précédente, dans une salle vaste et froide où l’on est tellement loin les unes des autres que l’on ne peut pas se parler, j’ai entendu cette infirmière papoter et rigoler avec ses collègues et elle n’est pas une seule fois revenue me voir, moi qui lui avais dit que je ne savais pas du tout ce qui m’attendait.
Par ailleurs, j’ignorais totalement que j’allais attendre si longtemps et j’avais laissé mon téléphone dans la poche de mon pantalon, du coup je n’avais rien d’autre que mon imagination pour me faire passer le temps.
J’étais assise sur un brancard et je me demandais vaguement pourquoi un brancard, allais-je devoir être transportée quelque part ? En réalité, c’était sans doute parce que c’était la seule chose à disposition, puisque la salle de transfert était juste à côté et qu’on m’y a conduite à pied.
Une fois installée dans la salle de transfert et la sonde échographique posée sur mon ventre, la médecin m’a fait cette remarque d’un ton de léger reproche :
« Vous n’avez pas beaucoup bu dites donc. »
Ah bon, il fallait boire ? Elle m’a expliqué que j’étais sensée avoir bu une grande quantité d’eau pour avoir la vessie pleine pour l’intervention. Personne ne m’a jamais fait part de cette partie du protocole, aucune infirmière ne l’a non plus vérifiée pendant tout ce temps où j’attendais. La médecin semblait hésiter à poursuivre malgré tout et je voyais déjà le moment où on me disait de revenir un autre jour parce que le transfert n’allait pas être possible.
Mais finalement, les conditions étaient suffisantes et tout a pu se passer sans autre problème.
Une fois le transfert terminé, la médecin m’a annoncé comme une évidence qu’elle répétait juste par principe que le traitement devait être prolongé à l’identique pendant quinze jours, puis pendant les trois mois suivants en cas de grossesse. Je devais ajouter à cela des injections quotidiennes qu’une fois de plus, j’allais être obligée de faire faire par une infirmière.
Personne, jamais, aucun des médecins auxquels j’ai parlé durant le mois précédent ne m’a parlé de cela. L’horrible médecin que j’avais eu au téléphone savait parfaitement que je partais aux Etats-Unis le lendemain matin et il ne lui avait pas semblé nécessaire de me préciser ce petit détail.
Durant une semaine, aux States, j’allais changer de lieu pratiquement tous les jours. Comment diable allais-je pouvoir me faire faire les injections ? J’ai tout de suite expliqué ça à la médecin, qui semblait me trouver un peu abrutie de ne pas y avoir pensé plus tôt, et elle m’a dit que de toute façon, dans la plupart des protocoles, ces injections, on ne les faisait pas, que je n’avais donc qu’à pas les faire, que ça ne changeait rien.
Là, il va encore falloir m’expliquer quel est l’intérêt d’injecter des molécules chimiques dans le corps des patientes si globalement, ça ne sert à rien.
Restait le problème des autres médicaments, qui sont globalement tous des produits que les pharmacies n’ont pas en stock et qu’il faut commander. Il était 18h et je partais le lendemain matin à une heure où les pharmacies ne sont pas encore ouvertes. Après avoir cherché un peu, j’ai fini par avoir l’idée de me rendre dans une immense pharmacie que je connaissais à la Défense et où il y avait une petite chance de tout trouver en stock, ce qui a effectivement été le cas.
Je me suis aussi confrontée à un autre détail technique imprévu : je devais continuer un traitement sous forme d’ovules vaginaux. Ces petites choses-là ont ceci de pénible qu’elles sont très salissantes et nécessitent d’utiliser des protections, même lorsqu’on respecte le temps réglementaire où il faut rester couché après les avoir introduites. Je partais pour une semaine de vacances et je n’avais pas, bien sûr, prévu de gérer ce petit souci.
Encore une fois, j’ai eu la chance que tout se termine bien, mais ça ne m’a pas dispensé de l’énorme dose de stress générée par tous ces imprévus, de la peur, de l’angoisse… Et tout ça, bien sûr, venait se coudre sur la trame de fond de mon état émotionnel du moment, un état compliqué, mélange du soulagement d’être enfin allés au bout de notre aventure, de la profonde tristesse de savoir que cela ne fonctionnerait pas, de ce stupide espoir qui batifolait encore et me faisait dire que peut-être, peut-être… et de cette raison fatiguée qui se battait encore et toujours pour le faire taire, pour que je ne me fasse pas plus de mal que je n’en ressentais déjà.
Quand on vit ce genre de moments éprouvants, on attend du milieu médical qu’il soit un soutien, un accompagnement. Quand bien même il n’y aurait plus les moyens humains suffisants pour cela, et ce même si faire son travail consciencieusement et se montrer chaleureux avec le patient ne me semble pas demander de moyens particuliers, on n’attend pas, en tout cas, que le milieu médical génère par son incompétence encore plus de stress et de difficultés que l’on en a déjà quand on vient le consulter.
Nous nous sommes enfin envolés pour les Etats-Unis et ce départ a été un vrai soulagement. Si j’avais dû passer les deux semaines suivantes à vivre ma vie habituelle, avec la perspective des deux analyses de sang qui mettraient le point final à toute cette histoire (oui, il y en a deux à deux jours d’intervalle pour plus de sûreté sur le résultat), je crois que ça aurait été assez terrible psychologiquement.
Grâce à monsieur Flo et à mes amis, grâce à toutes ces visites qui m’en ont mis plein la vue (enfin, c’est façon de parler hein), j’ai vraiment pu, pendant une semaine, ne pratiquement pas du tout penser à ce minuscule embryon de vie que l’on avait placé en moi et qui était probablement déjà mort.
Malgré tout, bien que cela n’ait heureusement pas suffi à gâcher mes vacances, je pense que rien ne l’aurait pu, le traitement hormonal les a rendues relativement pénibles pour moi : grosse fatigue, émotions chaotiques, seins douloureux, alternance de diarrhées et de constipations… Rien de profondément insurmontable, mais je me souvenais du professeur D. qui me disait que je pouvais partir aussitôt après, qu’il n’y avait absolument aucun souci, qui omettait totalement de me parler du traitement post-transfert et une fois de plus, je n’ai pu que constater à quel point j’ai été mal informée. Mais enfin, Flo, après tout, c’est un traitement léger et pas contraignant, alors, arrête donc de te plaindre et clos ce témoignage qui n’a pas lieu d’être.
Fin de l’histoire
Comme vous vous en doutez, il n’y a pas eu d’enfant et je suis parfaitement convaincue que le professeur F. avait raison, qu’on ne pouvait plus rien faire pour nous et qu’ils auraient pu me faire recommencer dix fois, cent fois ce protocole avant de tenter le transfert, il n’y en aurait pas eu davantage. Je remercie le Ciel d’avoir eu la force de me battre jusqu’au bout pour faire entendre ma volonté et ma décision. Car oui, j’ai réellement eu l’impression que c’était un combat, un combat contre des forces qui n’avaient vraiment pas l’habitude d’être combattues.
Je pense à toutes ces femmes, à tous ces couples que l’on garde dans ces services pendant des mois et des années, à coup d’espoir et de culpabilité, et qui sont peut-être dans la même situation que moi et c’est aussi pour eux que j’ai écrit ces lignes, pour qu’ils sachent que détruire leur santé et leur moral dans un service médical où ils ne sont pas respectés n’est pas la seule option et que les médecins n’ont pas toujours raison.
Aujourd’hui, nous espérons la chance merveilleuse de pouvoir accueillir au sein de notre famille un enfant qui aura besoin de parents. Peut-être cela n’arrivera-t-il jamais, mais je suis sereine car je sens au fond de moi que j’ai fait les bons choix.
Je souhaite de tout mon cœur que ce témoignage puisse rassurer ceux qui vivent des histoires similaires sur le fait qu’ils ne sont pas seuls et puisse les convaincre que ce qu’ils vivent n’est pas normal. Je souhaite enfin qu’il interpelle les médecins, les infirmières, tous les professionnels de la gynécologie et de l’obstétrique. Qu’il ne soit pas vécu comme une accusation, une critique gratuite, mais une invitation à se remettre en question et à avancer, pour qu’un jour soigner signifie réellement prendre soin, et que travailler à l’Aide Médicale à la Procréation signifie avant tout aider.
<< L’épouvantable calvaire de monsieur et madame Flo – quatrième partie
Quelques mots sur le tableau de couverture
C’est avec le célèbre Cri d’Edvard Munch, peint en 1893, que j’ai choisi de clore mon témoignage.
Ce tableau, en définitive, résume bien l’effroi, l’angoisse, la détresse et le cri intérieur que l’on éprouve en traversant une épreuve comme celle que je viens de vous raconter. La couleur rougeoyante du ciel symbolise la souffrance, le bleu profond que l’on trouve par ailleurs évoque la froideur. Cet être se cachant les oreilles semble ne pas pouvoir supporter la réalité qui lui fait face.
Description :
Sur un pont, un personnage sans cheveux, au visage émacié, au teint cadavérique, se tient la tête, bouche et yeux grand ouverts, en proie à une indicible angoisse, à un terrible tourment. En arrière-plan, deux hommes s’éloignent dans la direction opposée. Le ciel est très coloré, rempli de courbes jaunes, oranges, rouges et bleues.
12 commentaires
Ce que vous avez vécu est vraiment terrible mais le comportement de certains personnels du corps médical est déplorable. Je me suis reconnue dans certaines situations que vous décrivez même si ce n’était pas dans le cas d’une PMA. Je ne connais pas grand chose dans le domaine gynécologique mais pourquoi n’avez-vous pas fait une GPA? C’est interdit en France mais autorisé dans d’autres pays.
Bon courage
Bonjour,
Merci pour votre commentaire !
OUi, en discutant avec mon entourage et avec pas mal de monde, je me suis rendue compte que ces problèmes de comportement des membres du corps nédical existent en fait dans toutes les spécialités. Le problème général est que nous sommes devenus des cas, des dossiers, et plus des humains avec leurs problématiques personnelles et leurs émotions. Je crois qu’il y a un gros travail à faire auprès des médecins pour essayer de leur faire reprendre conscience du fait qu’ils soignent des êtres humains dans leur globalité, avec un corps mais aussi un esprit et des sentiments.
Concernant la GPA, c’est un procédé qui ne correspond pas à nos valeurs, aussi il n’était pas question d’y penser, voilà pourquoi nous ne nous y sommes pas intéressés.
ENcore merci pour vos mots et votre passage par ici.
Un témoignage merveilleusement bien écrit, sans jamais tomber dans le mélo. J’ai dévoré les 5 chapitre avec une compassion qui me prenait aux tripes tant on se sent embarqué à tes côtés au cours de ces aventures désastreuses. J’ai du mal à comprendre pourquoi la volonté de donner la vie est si mal accompagné et transformer en parcours cruel et douloureux. Et je parle en général parce que j’ai beaucoup lu de témoignages dans ce sens, et sans y ajouter le handicap qui rend les choses plus humiliantes encore. En tout cas, même si je comprends cette volonté d’affronter cette épreuve seuls, je trouve ça extraordinaire. Avoir le concours de proches voyants m’aurait été indispensable pour ma part, c’est un confort et un réconfort. Bravo !
J’espère que vous pourrez bientôt accueillir les rires d’un enfant au sein de votre belle famille
Merci pour tes mots de soutien et d’encouragement qui me vont droit au coeur.
Je confirme, je connaissais déjà quelques récits de parents, sans le moindre handicap, dans le milieu médical de la gynéco et de l’obstétrique, qui m’ont fait froid dans le dos, et j’ai reçu encore beaucoup d’autres témoignages du même genre depuis que j’ai publié le mien.
Il y a je crois un vrai problème humain parmi le personnel médical : on est devenu des cas, des dossiers. Il faut faire du rendement, il faut en traiter le plus possible, mais les médecins oublient qu’avant tout, ils font face à des humains, avec un corps et un esprit, avec des émotions des sentiments, et pas juste à un utérus et à des cellules…
Je ne sais pas ce que l’on peut faire pour faire changer les choses, mais j’espère vraiment qu’à force que les gens en parlent, il y aura une prise de conscience.
Merci en tout cas pour ton passage.
Quelle tristesse que de voir que ce témoignage porte bien son nom : un calvaire, un épouvantable calvaire. Jusqu’au bout.
J’espère de tout coeur que vous aurez la possibilité d’accueillir un enfant <3
Merci beaucoup à toi.
Puisse ton souhait être entendu. Nous, on ne perd pas espoir.
Coucou,
J’ai lu ton témoignage du début à la fin avec beaucoup d’émotion. Je trouve cela incroyable de voir à quel point le corps médical ne t’a pas aidée, pas une seule fois. Je ne pense pas que ce soit un cas isolé malheureusement, vu toutes les étapes que tu as dû traverser. Et je crois qu’il y a un réel soucis dans ce système, que les médecins (qui manquent parfois cruellement d’ouverture d’esprit) son beaucoup trop sûr d’eux alors que la science dure elle-même n’explique pas tout. Je suis tout de même reconnaissante de pouvoir être soignée gratuitement mais cela n’excuse pas selon moi le comportement de certains médecins etc. Voilà mon avis personnel et je te souhaite sincèrement tout le courage du monde pour la suite.
Bonjour,
Merci beaucoup pour tes mots de soutien et d’encouragement.
Oui, je crois que le souci est général. Si j’ai raconté notre histoire, c’est que je ne peux pas parler à la place des autres, mais j’ai entendu beaucoup de témoignages qui ressemblent tristement au mien et j’en reçois presque tous les jours, depuis que j’ai publié notre histoire.
Je ne rejette surtout pas tout le système médical, il est globalement performant et nous avons la chance d’en avoir un tel dans notre pays, mais je crois oui, qu’il y a quelque chose à faire bouger dans les mentalités, quelque chose de fondamental qui devrait être enseigné dès les premières années d’étude. Soigner un patient, ça n’et pas juste de la biologie, de la science chimique, physiologique et mathématique, c’est aussi prendre en compte un être humain avec ses mots, ses émotions, ses besoins, ses souhaits, ses souffrances, ses peurs.
J’espère vraiment qu’à force que ces histoires soient écrites, dites, nous pourrons parvenir à une prise de conscience du corps médical qu’il y a un véritable problème sur lequel il faut ensemble travailler pour améliorer les choses.
Bonjour Flo,
Je suis venue sur ton site comme souvent pour m’inspirer de tes fabuleuses recettes cosmétiques maison… et je suis tombée sur ces billets qui m’ont profondément touchée. Je salue ton acte de courage et de dénonciation des pratiques absurdes du corps médical rencontrées tout au long de votre douloureux parcours. Je suis moi-même en cours de PMA mais auprès d’une clinique britannique et j’avais en tête aussi de témoigner des incohérences et de la mercantilisation à outrance des cliniques d’aide à la procréation. Ton récit est un coup dans la poitrine mais il est important que tu aies eu la force de le publier. Merci. Je vous souhaite de tout cœur que l’univers entende votre souhait de devenir parents, et je vous souhaite surtout beaucoup de bonheur quelle que soit l’issue.
Salut,
Un très grand merci pour ton message. C’est toujours touchant pour nous de savoir que notre témoignage a pu toucher ou de savoir que d’autres vivent des choses similaires. Non pas que ça nous fasse plaisir de savoir qu’on n’est pas les seuls, je pense qu’on préfèrerait, mais c’est surtout rassurant de se rendre compte que non nous ne sommes ni fous ni paranos et qu’il y a bel et bien un souci dans l’approche médicale de l’aide à la procréation et, si j’en crois les témoignages que j’ai pu lire et entendre ces derniers temps, de l’obstétrique et de la gynécologie en général.
Je vous souhaite à vous aussi beaucoup de courage et surtout, beaucoup de bonheur à l’issue de votre démarche, quelle que soit cette issue.
Merci encore pour ton passage.
Bonjour Florie.
Je viens seulement de découvrir l’existence de ton blog. Au travers de ces pages, j’ai pu lire ton témoignage concernant ton parcours de pma.
Je te félicite pour avoir eu le courage, l’abnégation de coucher tout cela par écrit. Une fois tout ceci lu, on est consterné par tant d’inhumanité, d’arrogance, de suffisance de la part d’un corps médical qui ne se remet que trop rarement en question. La crise du covid le montre : la médecine traverse une crise profonde. Elle doit sérieusement se remettre en question et espérons que des témoignages tels que celui-ci accéléreront cette prise de conscience indispensable.
Pour finir sur une note plus optimiste, je connais à titre personnel des jeunes médecins et autres professionnels de santé qui ont conscience du problème. Je pense, fondamentalement, que les patients et les médecins ne se comprennent plus. Les uns pensent, parfois à raison, que les médecins n’ont que l’argent en tête et ne se soucient guère de leur état. Les autres estiment que les patients consomment la médecine, remettent sans cesse en cause leur décision et cela aboutit à une méfiance et une incompréhension réciproque.
En tous cas, tu mérites largement d’être mère et j’espère que ton projet d’adoption aboutira. J’ai hâte de t’entendre sur la chaîne youtube d’apidv le 21 juin prochain.
Bien cordialement.
François
Bonjour,
Un immense merci pour ce commentaire qui me touche beaucoup.
Je suis particulièrement d’accord avec cette analyse sur le rapport médecin patient. C’est exactement ce que j’ai pu ressentir, des deux côtés, au long de mon expérience en PMA mais pas seulement. Je suis greffée d’un rein et, même si l’équipe médicale qui me suit est particulièrement chouette pour le coup et je m’y sens très en confiance, ce sentiment demeure cependant, une méfiance réciproque qui se comprend mais nuit énormément à la médecine. Aujourd’hui, avec internet et les réseaux sociaux, trop de patients vont chercher et prendre pour argent comptant des informations très incomplètes, approximatives, et les asséner comme une vérité face à leur médecin, ce qui est particulièrement insupportable quand on a un bagage de connaissances solides et scientifiques. A l’inverse, trop de patients ont subi des consultations avec des médecins incapables d’écoute, focalisés sur leurs idées, leurs a priori, leur marotte ou leur protocole. Sans parler, bien entendu, des intérêts financiers. En l’occurence, dans le cas de l’expérience dont j’ai écrit le témoignage, si je remets fortement en question les médecins sur le plan humain, je crois que le problème financier était réel, mais lié à une pression sur tout le service dont les médecins étaient sans doute les victimes autant que les patients. Si un service ne tourne pas asez bien, il ferme, voilà la vérité.
J’ai travaillé pendant trois ans en psychiatrie et j’ai pu observer de près les rouages financiers des établissements hospitaliers. Je peux affirmer que l’intérêt des patients, dans la chaîne de décisions, arrive très loin après le rendement et autres questions et problématiques financières dont tout le personnel de la clinique souffrait autant que les patients.
Ma responsable m’a un jour interdit d’aller aux réunions de synthèse parce que, ce sont ses mots, « ce n’est pas rentable. » Je ne suis plus rentable si je vais à des réunions au lieu de prendre en charge des patients. Sauf que pour les prendre en charge, je dois connaître leur dossier et le travail des autres professionnels. Et que pour avoir ces informations, la seule solution est de participer aux réunions de synthèse, cherchez l’erreur.
Bref, il y a un gros travail à faire dans le domaine, et il y aura aussi, si ce travail parvient à être fait, un gros travail de remise en confiance des patients.
Encore merci pour ce passage sur mon blog, et au plaisir d’échanger !
J’ai moi aussi hâte à mon passage dans le apitalk de mardi prochain !