Miettes de quotidien en PMA
Nous voilà donc partis pour une série d’examens, avec une liasse de documents annotés à la main impossibles à déchiffrer pour nous.
Juste après cette première rencontre, j’avais rendez-vous avec une copine pour boire un verre, je me disais que ça me changerait les idées.
Mais au lieu de parler d’autre chose, et alors que nous souhaitions rester discrets sur nos premiers pas en PMA, pour ne pas avoir, en plus de la pression que l’on avait de base, à subir les questions de notre entourage sur l’avancée des choses, j’ai dû demander à cette copine d’éplucher avec moi ces trente pages dont les deux tiers étaient inutiles mais qu’ils donnaient systématiquement à tous les patients en leur laissant le soin de faire le tri. C’est elle qui m’a lu ce qu’il y avait à lire, qui, à l’aide d’un GPS, m’a aidée à sélectionner les laboratoires et médecins les plus accessibles en transports en commun pour faire nos différents examens. Cela n’aurait pris que quelques minutes à un professionnel du service, mais nous aurait permis de conserver notre intimité et aussi de nous sentir soutenus et pris en charge. Mais j’ai rapidement compris que soutenir et accompagner les patients n’avaient absolument aucun intérêt pour eux.
Une fois tous les examens requis réalisés, le professeur F. nous a annoncés que c’était parti, nous allions commencer un protocole de fécondation in vitro. Compte tenu de mon historique, on aurait pu imaginer que je m’interroge, que je me demande pourquoi faire une fécondation si on n’était pas sûrs que la nidation soit possible. Mais encore une fois, j’étais dans un service qu’on m’avait prétendu à la pointe des technologies et des connaissances sur la procréation. Je n’ai pas douté, j’ai fait confiance. J’étais convaincue, du fond de mon cœur, que jamais un médecin ne proposerait de faire une fécondation s’il n’était pas certain que l’embryon ainsi créé pourrait grandir dans l’utérus de sa maman. Pour moi, ce problème avait été vérifié et il n’y avait donc pas à s’en inquiéter.
Au cours de ce second rendez-vous, le professeur nous a donc remis toutes les ordonnances nécessaires pour débuter le lourd traitement de stimulation ovarienne. Une partie du traitement était sous forme d’injections et, comme il ne s’agissait pas de seringues pré-dosées, ne pouvant voir les graduations j’avais besoin d’une infirmière à domicile pour me faire les injections.
Ne sachant pas si une ordonnance pour une infirmière était prévue d’office dans la nouvelle liasse de documents que le médecin s’apprêtait à nous remettre, j’ai bien rappelé notre besoin et le professeur nous a bien dit qu’il ajoutait une telle ordonnance aux autres, que nous ne devions pas nous inquiéter. Je me souviens, un peu stressée, avoir posé la question une seconde fois pour être sûre qu’il n’oublie pas. Il faut comprendre qu’il nous demandait de commencer le traitement le soir même. Rassurée par deux fois par le médecin, je suis repartie à peu près tranquille.
Dans l’après-midi, j’ai dû récupérer le traitement à la pharmacie puis réaliser un véritable marathon pour arriver à trouver une infirmière disponible dès le soir même. Mais j’y suis parvenue.
L’infirmière est arrivée, m’a fait l’injection puis, au moment de prendre mon ordonnance et ma carte vitale… Il n’y avait pas d’ordonnance. Le médecin ne l’avait pas ajoutée. Après coup, j’ai réalisé que ce n’était pas grave. Même si l’infirmière n’avait pas eu de solution, j’aurais payé la première intervention et aurais récupéré l’ordonnance par la suite. Mais sur le coup, avec l’accumulation du stress que j’avais eu pour trouver aussi rapidement une infirmière, de celui, naturel, que j’avais à commencer un traitement inconnu qui allait probablement bouleverser quelque peu mon corps et mes hormones, le fait de découvrir que j’avais fait venir une infirmière sans ordonnance pour justifier de son intervention auprès de la sécu m’a juste paniquée et m’a fait monter les larmes aux yeux.
L’infirmière m’a rassurée : il me suffisait de contacter l’hôpital, de leur demander de faxer l’ordonnance directement à l’infirmière et elle scannerait ma carte vitale le lendemain, quand elle repasserait pour ma seconde injection. Mais l’incident était une nouvelle preuve du peu d’attention accordée aux patients par ce service de PMA.
A présent, c’est une petite série d’événements et de faits que je vais vous compter, sans ordre chronologique, mais mis bout à bout, ils rendent l’expérience réellement désagréable et, au fil des jours, de plus en plus difficile moralement.
La première chose qui m’a frappée, c’est le peu d’intimité et de dignité que l’on accorde aux patientes. Lorsque vous avez une consultation avec un médecin, vous êtes assise à son bureau, à discuter avec lui. Puis, il vous demande de retirer tout le bas de vos vêtements, sous-vêtement compris, de poser vos affaires sur votre chaise et d’aller vous installer sur la table d’examen. Sauf que le bureau se trouve dans un coin de la pièce et la table d’examen totalement à l’opposé. Vous vous retrouvez donc, les fesses à l’air, à traverser joyeusement la pièce sous le regard de monsieur encore assis à son bureau. Evidemment, ces messieurs voient passer des dizaines de paires de fesses et des dizaines de vagins dans la journée, cela ne leur fait ni chaud ni froid, c’est leur métier. Evidemment, ils verront de toute façon votre intimité, quand vous serez installée sur la table avec les pieds en l’air dans les étriers. Ça n’est pas pour autant qu’en tant qu’individu, en tant que femme, on n’a pas une dignité que l’on aimerait conserver, quoi qu’il arrive. Qu’un gynécologue voie ce que j’ai de plus intime quand je suis sur sa table d’examen parce qu’il fait son travail, cela ne m’a jamais posé de problème ni même ne m’a jamais fait me sentir mal à l’aise. Mais que l’on ne m’installe pas un petit paravent juste à côté de la table, me permettant de me déshabiller à l’abri des regards et que l’on m’oblige à parader dans tout le bureau le postérieur au vent simplement parce que pour eux, ça n’a pas d’importance, je trouve que c’est un terrible manque de respect et d’humanité. Parce que pour moi, ça a de l’importance. Parce qu’en-dehors des examens médicaux, j’ai besoin que mon corps m’appartienne.
Si vous ajoutez le handicap visuel à cette situation, les choses peuvent très vite devenir très cocasses ou très humiliantes, je vous laisse décider. Je me souviens d’un jour où ma consultation a eu lieu dans un bureau dont je n’avais pas l’habitude. Le médecin m’a demandé, comme chaque fois, de retirer le bas et d’aller m’installer sur la table d’examen. Convaincue qu’il allait me donner un coup de main, je me suis exécutée. J’ai posé jean et petite culotte sur la chaise, devant le bureau, parce que laisser voir ce que vous portez comme sous-vêtements fait aussi partie du jeu, sinon ça n’est pas drôle… Mais là, je ne savais pas vraiment où aller, j’ignorais où se trouvait la fameuse table d’examen. Debout, les fesses nues, et constatant que monsieur ne semblait pas déterminé à me venir en aide, je me suis dit qu’on allait le tenter en mode warrior et que si je galérais ou n’allais pas dans la bonne direction, le médecin finirait par comprendre le problème et par m’orienter correctement.
La demi-Eve que j’étais a donc vaillamment tenté de se frayer un chemin dans la pièce encombrée. Il y avait du matériel un peu partout et mon pied nu a fini par rencontrer un objet, impossible de vous dire de quoi il s’agissait, suffisamment haut et lourd pour me faire trébucher. J’ai donc failli tomber, j’ai fait du bruit, mais aucune réaction de la part du médecin. Il a simplement fini par rejoindre sa table et par me dire « C’est par là. »
Le pire, c’est qu’il est tout à fait probable qu’il ne m’ait même pas vue, qu’il ait été absorbé par son écran d’ordinateur et n’ait capté que j’étais désorientée qu’en se levant pour me rejoindre. Mais moi, je me suis vue, fesses à l’air, avancer à tâtons dans cette pièce, me prendre les pieds. Et il ne reste pas beaucoup de dignité, après ça, sinon celle que le second degré qui m’est coutumier et l’amour de mon mari ont pu me faire garder.
Ah, puisqu’on parle des médecins… On ne voyait que rarement le même médecin. Parfois, on était reçus par un nouveau, qu’on ne connaissait pas. On ne pouvait évidemment pas les identifier avec leur visage, et une voix que l’on connaît peu est souvent difficile à reconnaître. Pas une fois, l’un de ces messieurs n’a eu l’idée de simplement dire son nom pour nous permettre de savoir à qui nous avions à faire. Un élément de plus qui nous mettait à distance, nous rendait la communication difficile…
Quand vous téléphonez, rappelez au médecin ce qu’il vous a expliqué et que celui-ci vous répond : « Je ne vous ai jamais dit ça madame. »… Que vous comprenez que ce n’était pas lui, la dernière fois, qu’il vous demande qui vous a raconté ça et que vous n’avez même pas de nom à lui donner… Comme ils ne communiquent absolument pas entre eux non plus, il est impossible de recouper les informations, un professionnel ne sait absolument rien de ce que vous a dit son collègue.
Oh, oui, je sais ce que vous pensez : nous n’avions qu’à leur demander qui ils étaient, si nous voulions tellement le savoir. C’est vrai ; mais quand vous arrivez là-bas, vous attendez des résultats, des nouvelles. Vous êtes un peu stressés, dans l’attente… Alors non, on ne pense pas toujours à demander au type qui s’apprête à vous annoncer d’importantes nouvelles sur votre santé et votre fertilité comment il s’appelle.
Une autre habitude coutumière des médecins, c’est d’être deux, généralement un professeur et un interne. Souvent, une fois que vous avez été examinée, ils discutent entre eux de ce qu’ils ont vu. Vous êtes là, les jambes relevées et écartées, l’entre-jambe exposé aux regards, à attendre parce que vous ne savez pas s’ils en ont fini, et eux, tranquillement, discutent de votre cas, sans vous prêter la moindre attention, sans ni vous inclure dans leur discussion, ni vous dire que vous pouvez vous rhabiller. Parfois, ça a pu durer même assez longtemps. Je crois qu’il n’y a pas pire façon de vous placer au rang d’objet que ce genre de comportement. Ni votre esprit, ni votre corps dans ce qu’il a de plus intime n’existent pour eux. Vous êtes un cas, vous êtes un objet d’étude, mais vous n’existez plus. Vous vous sentez vulnérable, vous vous sentez humiliée, mais vous n’existez plus.
Une anecdote, avec un professeur et son interne, m’a particulièrement marquée et choquée. Lors de l’un de mes rendez-vous, je suis entrée dans le bureau, schéma classique, j’ai échangé quelques informations avec le médecin, puis j’ai dû comme toujours faire mon petit défilé nudiste jusqu’à la table d’examen. Je me demande même, j’en suis en fait presque certaine et c’est encore plus grave, si ce n’est pas la même fois où j’ai failli m’offrir un épisode de Vidéo gag en trébuchant sur le parcours. Je me suis installée sur la table d’examen, le médecin était toujours à son bureau, je l’entendais tapoter sur son clavier d’ordinateur.
Et tout à coup, en même temps que je sens une chose froide pénétrer en moi, j’entends une nouvelle voix me dire : « J’insère la sonde. »
Sidérée, j’ai brusquement compris que, depuis le début de la consultation, ils étaient deux dans le bureau. Si le médecin m’avait serré la main et saluée, le second personnage, probablement un interne, ne s’était même pas fendu d’un bonjour. A aucun moment, le médecin ne m’a expliqué qu’il était accompagné d’un autre soignant, ne me l’a présenté. Je l’ai découvert à l’instant où il a introduit une sonde en moi. Ce second protagoniste m’a vue chercher mon chemin du bureau à la table d’examen et n’a pas esquissé un mouvement pour me guider. Il n’a pas prononcé un mot. Une fois l’examen terminé, il ne m’a même pas dit au revoir.
J’ai essayé d’analyser ce qui avait pu se passer, il est toujours plus facile d’accepter quelque chose quand on le comprend. Je me suis dit que sans doute, c’était un jeune interne, particulièrement timide ; que, peut-être aussi, le médecin qui m’a reçu ce jour-là était particulièrement autoritaire et craint de ses élèves. Je sais pour l’avoir étudié combien la relation de pouvoir, de domination d’un professeur respecté à ses élèves peut provoquer des réactions étonnantes et absurdes. C’est comme ça que je me suis expliqué ce que je venais de vivre.
Mais la vérité, c’est que si cela pouvait expliquer, cela ne justifiait rien. Cela ne justifiait pas, par exemple, pourquoi si l’interne était trop impressionné pour oser parler, le professeur n’avait pas pris l’initiative de le présenter, de simplement m’informer qu’il était là, avec lui. Il ne s’agit même plus d’une histoire de conscience professionnelle ou que sais-je encore, il s’agit simplement de politesse.
Prélèvement et ponction
La stimulation ovarienne ayant très bien fonctionné (je vous rappelle que j’étais convaincue que je n’avais pas de problèmes d’ovulation à la base), une date a été fixée pour le prélèvement de sperme et la ponction ovarienne. Lors de mon rendez-vous précédent, j’ai tout naturellement demandé si je pouvais être aux côtés de monsieur, pour le prélèvement de sperme. Ça me semblait juste logique ; je voulais simplement conserver dans cette aventure médicale autant d’humanité et d’amour que possible, rester au plus proche de ce que la nature nous permet de faire en temps normal.
Monsieur Flo avec son petit pot d’un côté, moi sur la table d’opération de l’autre, c’était hors de question. Et comme pour des raisons d’hygiène monsieur Flo ne pouvait assister à la ponction, il me paraissait normal de rendre son prélèvement à lui le plus tendre et amoureux possible.
Mais quand j’ai posé la question, j’ai eu l’impression de demander s’il m’était possible d’inviter des extraterrestres à danser le fandango dans le bloc opératoire. On ne m’a pas dit non, on m’a dit « oui, si vous voulez » mais d’un air tellement étonné par ma bizarrerie que je me suis vraiment demandé comment faisaient les autres couples et si j’étais tellement improbable avec ma requête.
Jour J ! Je mets des dessous affriolants, une petite jupe sympa et nous voilà partis pour l’hôpital Foch.
Une fois là-bas, on a confié à monsieur Flo son fameux petit pot et on nous a conduits dans une pièce… Une pièce froide et impersonnelle, avec des murs nus, un canapé en plastique recouvert d’un papier pour l’hygiène, un lavabo et une télévision devant laquelle s’empilaient des films et magazines porno. Vous n’allez pas me faire croire que cela coûterait beaucoup plus cher au service de proposer une pièce cosy, toujours en garantissant une parfaite hygiène bien sûr, mais avec un petit décor romantique, une lumière tamisée, quelque chose en somme qui rende l’expérience humaine pour un couple qui essaie d’avoir un enfant. Parce que c’est toujours de ça qu’il s’agit, pas de cellules dans une éprouvette, mais de deux amoureux qui débordent tellement d’amour qu’ils ont ce désir puissant de le transmettre à un nouvel être.
Pour couronner le tout, l’infirmière croit nous rassurer, en refermant la porte derrière elle, en nous annonçant : « Je reviendrai régulièrement pour voir si vous avez fini ! »
Nous ne sommes pas trop du genre à nous laisser abattre, alors nous avons fait fi de ces désagréments. Tentant de ne pas trop imaginer l’infirmière derrière la porte nous criant : « Alors, ça y est ? «, parce que ça nous faisait soit rire, soit interrompre tous nos élans dans un moment d’angoisse qu’elle ouvre la porte, nous avons réussi à confier ces précieuses cellules au corps médical dans un moment d’intimité et de tendresse. Mais rien, absolument rien n’est fait par le service pour vous y aider.
Ensuite, ça a été mon tour. En blouse, charlotte et chaussons d’hôpital, allongée sur un brancard dans une salle où j’avais trop froid et où les autres patientes qui attendaient comme moi étaient trop éloignées pour que nous puissions échanger quelques mots, je me suis retrouvée à attendre. J’ai alors eu tout le temps de réaliser que je ne savais absolument pas comment l’intervention allait se passer. Aucun des médecins que j’avais vus n’avait eu l’idée de m’en parler. Je ne savais absolument pas ce qu’on allait me faire et la seule information que je possédais, dite par un médecin, c’était qu’on allait m’endormir, un peu mais pas trop, de sorte que je ne sente plus rien et ne bouge plus, mais que je reste à demi consciente. Dois-je vous avouer que cette idée me terrifiait plutôt que de me rassurer ?
Finalement, une infirmière s’est approchée de moi et m’a demandé :
« Vous savez un peu comment ça va se passer ? »
Ravie qu’on me pose la question, j’ai répondu que non et elle m’a dit :
« Ne vous inquiétez pas, le médecin va tout vous expliquer. »
Puis elle est repartie.
L’attente s’est éternisée, puis enfin, deux soignants sont venus me chercher, m’ont faite lever, m’ont faite entrer dans la salle d’intervention, m’ont faite assoir sur une de ces fameuses tables d’examen.
On m’a mis la perfusion pour l’anesthésie, on m’a dit que tout allait bien se passer et on m’a endormie. Pas un mot, pas une explication.
Je me souviens, voyant que personne ne le faisait pour moi, avoir essayé de dire quelque chose de drôle pour me détendre, tandis que j’attendais que le produit anesthésiant fasse son œuvre. Je vous concède que ce n’était sans doute pas drôle du tout, comme la plupart de mes blagues. Mais tout ce à quoi j’ai eu droit, c’est à de l’agacement de la part des médecins qui m’ont demandé d’arrêter de parler, semblant étonnés et dépités que l’anesthésiant n’agisse pas plus vite.
Le verdict
Tout s’est bien passé. Ils ont fait leur popote et quelques jours plus tard, ils nous ont annoncé que nous avions un unique embryon. Ils étaient tous très déçus, moi, j’étais folle de joie. C’était exactement ce que je désirais, que la science m’aide, mais ne fasse pas des choses que la nature ne fait pas et ne me mette pas dans une situation moralement impossible à résoudre pour moi. Nous avions un seul embryon, comme nous l’aurions eu si nous avions fait les choses naturellement. Que cela fonctionne ou non, je n’en laisserais aucun sur le carreau.
Nouveau cycle, nouveau traitement, à présent, le but, c’était d’offrir les meilleures chances à l’embryon de s’implanter dans l’utérus.
Bilan au bout de deux semaines : l’endomètre n’avait pratiquement pas épaissi, impossible de tenter un transfert.
Mais trois, puis six, puis huit jours après, exactement le même verdict. L’endomètre n’épaississait pas d’un iota.
Nous avons finalement eu un nouveau rendez-vous avec le professeur F. Il nous a expliqué que les couches basales de mon endomètre avaient été détruites. Je lui avais bien parlé, n’est-ce pas, m’a-t-il demandé, d’une infection que j’avais eue il y avait quelques années de cela. Il suspectait que ce soit elle qui ait été responsable de la destruction de ces couches profondes de l’endomètre. Quoi qu’il en fût, malgré les traitements, mon endomètre ne pouvait plus se reconstruire et s’épaissir suffisamment pour accueillir un embryon.
Il m’a demandé si je possédais le dossier médical relatif à cette infection que j’avais eue en 2011. Je lui ai dit que non, qu’il devait toujours se trouver dans le service de néphrologie du CHU de Grenoble où j’avais été admise à l’époque. Il a dit qu’il allait faire le nécessaire pour récupérer ce dossier pour pouvoir comprendre ce qui s’était passé et nous a proposé de le revoir dans deux mois.
C’est donc dans le flou le plus absolu que nous sommes restés deux mois dans l’attente, totalement démunis. Le professeur F. n’avait pas semblé très optimiste en évoquant la cause de mon infertilité, il semblait qu’il n’y avait aucune solution, sans quoi il nous l’aurait déjà proposée, non ? Mais alors, pourquoi nous faire attendre deux mois sans rien nous dire ? J’espérais encore, à ce moment-là, qu’il se donnait réellement ce temps pour tenter de récupérer mon dossier médical auprès du CHU de Grenoble et qu’il pourrait peut-être y découvrir quelque chose d’intéressant.
Enfin, fin août 2017, donc presque un an après notre entrée dans le service, nous avons revu le professeur F. Il n’a absolument pas évoqué mon dossier médical de 2011, comme si ce paramètre n’avait jamais été évoqué. Quand j’ai posé la question de savoir s’il avait pu l’obtenir, j’ai bien compris qu’il ne l’avait même pas cherché.
Il nous a réexpliqué ce qu’il nous avait déjà dit au sujet des couches basales de mon endomètre et il a ajouté qu’à l’heure actuelle, la médecine ne connaissait aucun moyen de réparer ce type de dommages. Il a terminé par cette phrase dont monsieur Flo et moi nous souviendrons toute notre vie, prononcée du ton presque triomphant du grand professeur qui a fait son travail jusqu’au bout : « Madame Flo, on ne peut plus rien faire pour vous. »
Et c’est sur ces mots qu’il nous a souhaité une bonne continuation et nous a invités à prendre congé. Serrage de main, au revoir et c’était fini.
Pas un mot de réconfort, pas une parole apaisante, pas la moindre question pour savoir comment je me sentais, comment je prenais la nouvelle. Aucune proposition de soutien, aucune mention d’un éventuel suivi psychologique. Aucune évocation de notre embryon, comme s’il n’avait jamais existé, alors qu’il attendait quelque part dans le congélateur d’un labo. Pas le moindre conseil à ce sujet, alors que cette pensée me torturait déjà l’esprit à l’instant où il a prononcé la sentence. Aucun conseil non plus au sujet de la suite possible pour nous, comme si tout était terminé.
Un an auparavant, j’arrivais dans le service avec toutes les informations nécessaires à la compréhension de notre problème. Mais au lieu de s’y intéresser et de chercher d’abord à savoir s’il y avait une solution pour faire épaissir mon endomètre, on s’est contenté de nous faire suivre un protocole, de nous faire féconder, comme de braves rats de laboratoire. Créer un embryon que je ne pourrais jamais porter, ça n’a posé de problème à personne. M’imposer un lourd traitement hormonal inutile, ça n’a dérangé personne. Alors que cette réponse, on aurait pu me la donner en quelques semaines, on me l’a donné au bout de dix mois, pour deux raisons, aussi répugnantes l’une que l’autre : la première, c’est que l’on ne m’a pas écoutée ; le professeur F. a brandi cette histoire d’infection en 2011 lors de notre dernier rendez-vous comme si c’était lui qui venait de découvrir le pot aux roses. Suivre un protocole établi, ne pas chercher et ne pas tenir compte du patient, voilà la réalité d’un tel service. La seconde raison, et la suite de notre aventure me l’a encore davantage prouvé, c’est que ce service n’était pas là pour aider les patients, mais pour faire du chiffre. Féconder un embryon, ça c’est une victoire quantifiable et possible à ajouter à une longue liste de résultats positifs pour pouvoir justifier de la réussite de l’établissement et obtenir davantage de financements. Le problème n’incombe pas qu’aux médecins : si le système leur fait savoir que si l’établissement n’est pas rentable, il sera fermé, je peux comprendre qu’ils aient une certaine pression.
Etudier un dossier médical et informer une patiente qu’il lui était inutile de tenter une fécondation, car elle ne pouvait pas porter d’enfant, ça, ça n’apportait rien, en termes de rendement, et il était plus intéressant de l’utiliser malgré tout pour comptabiliser une fécondation réussie de plus.
Quant à ces deux mois d’attente supplémentaire, ces deux mois à nous laisser espérer, angoisser, pour finir par ne rien nous dire de plus et nous asséner qu’il n’y avait plus rien à faire, j’ai beau tourner la chose dans tous les sens, je n’arrive pas à y voir autre chose que de la torture et de la cruauté gratuite. Oh, je suis certaine que dans l’esprit de F., il n’y avait rien de tout ça. Il y avait probablement beaucoup d’inattention, de désinvolture et pourquoi pas une part d’intérêt, deux consultations font rentrer deux fois plus d’argent qu’une seule. Mais pour moi, il ne s’agit de rien d’autre que de maltraitance médicale pure et simple.
Voilà comment s’est achevé ce volet de notre aventure en PMA. Parce que non, l’histoire n’est pas terminée et le meilleur du pire reste à venir…
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Quelques mots sur le tableau de couverture
Pour ce troisième chapitre de mon témoignage, j’ai choisi comme illustration le tableau Héritage d’Edvard Munch, peint en 1897.
Je ne connaissais à vrai dire que le célèbre Cri de Munch quand j’ai eu l’idée de ces illustrations et, en explorant son oeuvre en compagnie d’une formidable descriptrice qui n’était autre que ma maman, j’ai été interpelée par celui-ci, qui dépeint la mort d’un enfant et la détresse d’une mère. Bien sûr, dans mon cas, il s’agit de la mort d’un enfant symbolique, mais il n’en reste pas moins que la stérilité demande un véritable travail de deuil.
Description :
Le tableau représente une femme en pleurs, assise sur un banc dans ce qui semble être une salle d’attente, portant sur ses genoux le corps nu d’un nourrisson mourant ou mort. Le bébé a une tête anormalement grosse, des membres très fins et une éruption cutanée rouge sur la poitrine. La mère porte une robe sur laquelle sont représentées des feuilles mortes qui tombent. Les couleurs qui composent le tableau sont le rouge, le noir, le blanc et le vert, que l’on retrouve souvent dans les tableaux de Munch évoquant la maladie ou la mort.
6 commentaires
Que d’humiliations, de mauvais traitements et de temps perdu… Comment peut-on choisir la carrière de médecin et mépriser à ce point son prochain ? Si on ajoute à cela la marchandisation de la parentalité, c’est tout simplement immonde… D’autant plus immonde que votre témoignage n’est malheureusement pas isolé. D’ailleurs, de nombreuses scènes que tu décris me sont étrangement familières même si je ne les ai pas vécues dans un contexte de PMA. Plein de courage à vous deux pour la suite et mille bravos pour avoir su si bien mettre en mots cette douloureuse expérience !
Merci beaucoup pour ton soutien.
Oui, malheureusement, je constate que ce témoignage fait écho à beaucoup de vécus, et pas seulement en PMA. En fait, c’est le milieu médical en général qui semble avoir un sacré souci. Et moi non plus je ne comprends pas très bien comment des personnes qui ont choisi un métier aussi tourné vers les autres, vers le soin, l’aide, vers l’homme, peuvent en arriver là. Et j’espère juste que plus nous serons nombreux, dans tous les domaines, à raconter ce genre de choses, plus cela fera réfléchir le milieu médical à la crise qu’il traverse et à des solutions pour changer de cap.
Voilà donc la fin de cette aventure-là en PMA… Quelle horreur. Je suis vraiment désolée de ce que vous avez vécu… Je pense qu’il y aurait beaucoup à dire sur ce monde mais j’ai bien l’impression que ce serait mal reçu car critiquer la PMA n’est pas très bien admis.
Ton témoignage est toujours aussi bien écrit et bouleversant d’honnêteté et le tableau est percutant par rapport à ton texte.
Merci beaucoup pour ton retour si positif sur ce témoignage.
Oui, malheureusement, la PMA est un sujet sensible, en particulier en ce moment où elle s’ouvre encore davantage à tous.
Ce n’est certes pas la question, et pourtant, si on critique les méthodes, certains pensent que l’on critique le principe en général… Pourtant ça n’a rien à voir.
Je me dis malgré tout que si les gens se mettent de plus en plus à parler, peut-être qu’au bout d’un moment certains seront obligés de se remettre en question… Monsieur Flo m’estime bien trop optimiste, et il a sans doute raison mais comme je lui dis toujours, si on ne fait rien, on ne peut pas espérer que le monde change.
Bonjour Florie,
Le plus grand des hasards m’a amené sur ton article en 3 parties. Je suis tombée sur ton blog en cherchant des avis sur les shampoings Holi Cosmétiques. Je reste sans voix. Je connais des gens qui sont passés par l’épreuve, voir le calvaire, de la PMA, je me figurais que cela était vraiment froid et inhumain mais dans ton cas très précis, je me sens profondément désolée. Désolée que le monde soit rempli de personnes dénuées de la moindre empathie, intelligence émotionnelle ou même plus largement d’altruisme. De surcroît quand ils sont payés (grassement) pour rendre service ou aider quelqu’un de souffrant. Pire lorsque l’on sait qu’ils ont prêté serment.
Le combat médical est déjà tellement éreintant voir brisant pour une personne ayant la vue. J’ai peine à imaginer ces rendez vous où tu étais à moitié nue dans un bureau, à devoir trouver seule le chemin vers la table d’auscultation. Que cela serve d’écrin à ta force et à toute l’intelligence dont tu es porteuse et qui manque à tant de gens valides par les sens mais handicapé par le coeur. Ils doivent être très malheureux tous ces médecins pour se comporter avec autant de méchanceté.
En te lisant, bien loin de ressentir de la pitié pour ton handicap, on mesure parfaitement les sens intellectuels qui t’appartiennent et font de toi quelqu’un dont le monde a besoin, dont le monde manque cruellement.
Je te souhaite de trouver des réponses, des solutions, je te souhaite du bonheur avec Mr. Flo.
Salut !
Waou, ton commentaire m’a beaucoup émue. Merci beaucoup, pour tous ces gentils mots, ce soutien et cette compréhension.
Je transmets bien sûr aussi à monsieur Flo, qui passe moins de temps que moi sur la toile, mais est toujours touché des messages qu’on reçoit par rapport à ce témoignage.
Je pense, oui, vraiment que ces expériences m’ont donné une force dont aujourd’hui je suis fière. Mais je pense aussi que j’ai la chance d’avoir un fort caractère de base, d’être très bien entourée et aimée. Et je pense à tous ceux qui n’ont paust-être pas cette chance et qui, handicap ou non, vivent de telles expériences… Et j’espère sincèrement qu’un jour à force de lire de tels témoignages, les milieux méeicaux prendront conscience que ce n’est pas parce que la science va toujours plus loin pour trouver des solutions médicales qu’ils doivent en oublier que soigner, c’est avant tout prendre soin, et donc se préoccuper de l’humain et pas seulement du corps dans lequel il vit…
Je compte envoyer mon témoignage à l’hôpital Foch, je doute qu’il sera lu, mais je me dis que ça vaut quand même la peine, au cas où un seul médecin du service trouverait quelques minutes pour y jeter un oeil…
Bref, encore merci infiniment, ton message m’a beaucoup touchée.